Cela fait approximativement 30 ans que je rêve d’apocalypse et je crois que si j’avais pris la peine de consigner chacun de ces rêves par écrit, je serais aujourd’hui en mesure de les réunir dans un recueil de nouvelles que j’intitulerais Apocalypse Now (comment ça c’est déjà pris ?).
Cette nuit j’ai rêvé que l’humanité en était arrivée au stade fatidique du manque de ressources naturelles et de la surpopulation. Que nous avions tant produit à tort et à travers et tant bousillé, que la Terre ressemblait à une sorte de désert à la Mad Max avec quelques oasis d’abondance ça et là. Et que le nouvel ordre mondial se résumait ainsi : des puissants ayant conçu des sortes de camps où l’humain lambda était nourri au Soleil vert dans des univers quasi carcéraux, tandis qu’une infime partie de la population se partageait ce que la Terre réussissait encore à produire tant bien que mal. 90% de l’humanité parquée sous des dômes en acier, répartie dans des cellules exiguës alignées par centaine le long d’une coursive circulaire. Avec aucune fenêtre donnant sur l’extérieur, parce qu’on avait même voulu les priver de ça, de la lumière naturelle et de l’idée d’un monde autre que ce camp étouffant et dégueulasse. Les gens étaient là, parqués par milliers, accoudés à des balustrades réparties sur des dizaines d’étages, s’épiant les uns les autres en s’inquiétant de savoir si l’un ou l’autre allait sauter à la gorge du voisin et lui planter ses pouces dans les yeux. Une humanité réduite à se regarder dans le blanc de l’œil sans aucun but ni aucune sorte d’espérance. Certains pleuraient en se rappelant de l’extérieur, d’autres tambourinaient contre les parois, et ça faisait un raffut du diable dont la plupart finissait par s’accommoder. Parfois, un autre bruit plus percutant faisait vibrer nos cages thoraciques et nous soulevait le cœur, celui des désespérés et des fous qui n’en pouvant plus, se jetaient du plus haut étage pour finir leur chute là tout en bas, où les carcasses s’entassaient. Les femmes étaient prostrées au fond des cellules et se faisaient toutes petites, cramponnant leurs petits contre elles, car sous ce dôme hermétique où nul n’avait rien à perdre et où même la survie n’intéressait plus personne, certains se permettaient d’intolérables passe-temps et réjouissances à côté desquels la mort était une aubaine. Et d’ailleurs, la mort, c’était le seul enjeu, le seul objectif à atteindre.
Quand je le dis que je fais des rêves pas piqués des vers en matière d’apocalypse, personne ne me croit. Et après on s’étonne que j’en fasse une obsession et que je sois une adepte des conserves maison.