My favourite book of all time #5

Oui je sais, ça faisait longtemps.

Mais voilà : depuis quelques jours, je me suis remise au crochet.

Au lieu de lire, je passe désormais mes soirées à crocheter des châles et des ponchos de hippie sur le canapé, pendant que mon vieux mari regarde des films catastrophe dans lesquels les séismes, tsunamis et collisions d’astéroïdes n’ont aucun effet sur le maquillage waterproof des héroïnes à gros nénés. Tout cela n’est guère sérieux, I know.

Du coup, je suis à deux doigts d’ouvrir une rubrique intitulée « le crochet pour les gogoles »et destinée aux gens qui, comme moi, ne parviennent pas à déchiffrer les diagrammes de crochet et qui vivent cet échec comme une insulte à leur intelligence. Ou qui sont obligés de relire les instructions 43 fois et de les reformuler comme si elles étaient destinées à un public de quatre ans et demi, genre »piquer dans le gros trou du dessous et faire trois brides toujours dans le même trou ».

Bref.

Mais bon, tout de même, j’ai lu.

J’ai lu le hors série de Sciences et Vie sur la Bible, des sites sur l’agriculture et le jardinage, des règlements intérieurs à rendre signés sans faute, et puis j’ai lu trois romans parmi les préférés-de-tous-les-temps des gens du web et d’ailleurs.

J’ai commencé par le livre préféré de Paf le P.A.F. : Sous le règne de Bone de Russel Banks.

La quatrième de couverture parle d’un ado dont « la vie est devenue intéressante l’été de ses quatorze ans« , quand il était « à fond dans la fumette » et qu’il « fouinait tout le temps dans la maison pour dénicher des trucs à vendre« . Elle parle aussi de cheveux coiffés en crête, de nez percé, de tatouage, de rencontres et d’aventures avec des marginaux et des sages, et bref, voilà un résumé qui comporte suffisamment de mots clés dignes d’intérêt, selon mes critères parfaitement subjectifs, pour augurer une cool ambiance de lecture.

Et c’est un fait : Sous le règne de Bone est un roman d’apprentissage undeground et bien rock’n’roll, avec des personnages un rien barrés ou complètement incongrus. Chappie, le héros, est un ado qui fuit l’asphyxie d’un foyer a priori ordinaire en zonant au centre commercial et en fumant de la marijuana. Après avoir légèrement pillé la maison familiale afin d’acheter encore plus d’herbe à fumer, Chappie se retrouve à la rue et trouve refuge chez Russ,  employé de vidéo club qui partage un appartement miteux avec les Adirondack Iron, une bande de bikers accro aux drogues et au trafic de matos électronique. Cet appartement nauséabond, squatté par des voyous alcooliques, violents et décérébrés, sera le point de départ de la cavale de Chappie ou plutôt de la grande aventure qui le mènera un peu partout, semant sur sa route des rencontres inoubliables : Buster Brown, le drôle de type trop souriant pour être honnête dont on ne sait pas très bien s’il est manager de groupes de rap ou « roi fou du porno », Froggy la fillette sortie de nulle part, James et Richard, les deux frères toxico qui vivent dans un bus scolaire abandonné, I-Man, le vieux sage Jamaïcain qui cultive un potager en pleine ville, Evening Star, la riche héritière en plein trip hippie qui transforme sa villa en paradis de la fête, et tant d’autres.

De rencontre en rencontre, Chappie, rebaptisé Bone après un tatouage, va faire le point sur son existence et ses attentes, tenter de résoudre certaines affaires familiale, manquer de sombrer dans la marginalité et la violence puis découvrir les enseignements d’un vieux rastafari et tenter de prendre sa vie en main pour de bon.

Sous le règne de Bone fait partie de ces romans qui se lisent comme un rien, une sorte de road movie génial où la jeunesse se perd, reprend parfois le dessus, et cherche définitivement à trouver sa place dans un monde dégueulasse ou peut-être il subsiste encore du beau. J’ai vraiment bien aimé ce livre et comme je ne connaissais pas du tout Russel Banks, j’adresse un big hug virtuel au gentil lecteur qui me l’a conseillé car cela me donne envie de lire toute la bibliographie de l’auteur. Mais pour cela, il faudrait d’abord que j’arrête de passer mon temps à crocheter des ponchos ridicules.

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J’ai ensuite embrayé sur Abattoir 5, un roman de science-fiction conseillé  par une certaine Kate Miller de Minneapolis. J’ai trouvé le titre vraiment cool, allez savoir pourquoi, et si l’on ajoute à cela qu’il était mentionné au dos d’une carte postale d’un film de sci-fi de série B datant de 1961, je me suis dit que cette Kate ne pouvait forcément pas avoir mauvais goût.

Abattoir 5 est l’histoire de Billy Pellerin, un vieil opticien doté du pouvoir de se promener à travers le temps et qui passe ainsi son temps à rebondir d’un moment à l’autre de son existence. Il se retrouve ainsi régulièrement en 1945, à l’époque où il fut fait prisonnier et enfermé dans un abattoir de Dresde,  d’où il fut témoin du terrible bombardement qui anéantit la ville. Parfois aussi, le voilà qui revit les premières années de son mariage, des scènes banales déjà vécues dans son cabinet d’opticien, et puis surtout, son existence sur la planète Tralfamadore, après avoir été enlevé par des extraterrestres. Bien décidé à révéler au monde entier l’existence des Tralfamadoriens, Billy Pellerin devient la honte de sa famille en arpentant les radios et bureaux des journaux locaux pour relater son incroyable aventure dans une autre galaxie et évoquer ces extraterrestres télépathes ayant, à la place de la tête, une grosse main  pourvue d’un oeil. Il y raconte comment il a été placé sous un dôme de verre équipé de meubles volés par les Tralfamadoriens chez Prisunic, et comment il est ainsi devenu la vedette d’un zoo tralfamadorien, observé et questionné par des petits hommes verts curieux.

J’ai plutôt bien aimé lire ce roman complètement délirant. C’est bourré d’humour noir, ça se lit très vite (220 pages) et on adore la galerie de personnages inventée par l’auteur : Bob l’enragé, Kilgore Trout l’auteur de romans de science-fiction, Montana Patachon la starlette enlevée par les extraterrestres… Bref, lisez-le, c’est bien cool (je trouve que j’emploie le terme « cool » de façon beaucoup trop fréquente et inconsidérée ces derniers temps, ce doit être dû à ma nostalgie grandissante pour les 90’s).

abattoir5

Et puis bon, pour finir j’ai lu un livre qui m’a tout simplement brisé le coeur en mille petits morceaux, un livre que j’ai trouvé à la fois tellement triste et tellement beau que je ne suis pas vraiment capable de déterminer s’il est finalement surtout triste ou surtout beau.

Ca s’appelle Le rapport de Brodeck, ça m’a été conseillé par ma copine La fille Mentalo après avoir très sérieusement étudié la question de son favourite book ever. Elle a bien essayé de me fourguer deux ou trois titres mais je n’ai pas faibli et je lui ai hurlé que c’était un seul livre ou rien et du coup, après avoir longtemps réfléchi à la question (je vous assure qu’elle a fait ça avec autant de sérieux que si on lui demandait lequel de ses enfants sacrifier en cas d’attaque cannibale post-apocalyptique), elle m’a brandi ce livre en me disant : « Tu veux un livre qui te retourne les tripes et le coeur ? Et bien voilà, lis ça et après tu seras bonne pour être enfermée dans une usine de Kleenex ».

Alors je l’ai lu. J’ai lu l’histoire de Brodeck, ce type gentil est discret que les hommes du village convoquent une nuit en lui demandant de rédiger un rapport. Car Brodeck sait écrire, il est le plus érudit des villageois, celui qu’on envoya autrefois en ville pour y faire des études et acquérir des connaissances qui seraient ensuite utiles à toute la communauté. Brodeck doit écrire un rapport pour raconter ce qui s’est vraiment passé cette nuit-là, pour dire comment les hommes furent obligés d’en arriver là. Pour raconter ce qui s’est passé avec Der Anderer – L’Autre.

L’Anderer est arrivé un jour au village sans but précis, avec sa mine souriante, ses joues fardées, ses drôles d’habits faits d’étoffes précieuses et colorées, ses malles chargées de curiosités, et puis surtout, son carnet. Il s’installe à l’auberge de Schloss, parle à ses animaux, boit du thé corsé, se restaure peu, se promène et observe. Il observe les gens, il admire le paysage, il prend des notes, écrit et dessine, et puis surtout, il ne parle pas, ou peu. L’Anderer préoccupe et dérange la petite communauté qui s’inquiète de sa présence et qui se trouve bientôt contrainte de prendre des dispositions radicales à son encontre.

Contraint par les hommes du village et craignant des représailles, Brodeck n’a donc d’autre choix que de rédiger ce fameux rapport, celui qui racontera tout en détail depuis l’arrivée de l’Anderer jusqu’au drame de cette fameuse nuit où les villageois ont bien été forcés de commettre l’irréparable. Alors Brodeck écrit. Mais en cachette, il écrit aussi un autre rapport, son rapport à lui, celui qui dira toute la vérité, qui dira tout sur l’Anderer et sur son séjour au village, sur l’homme qu’il était, et sur ce que les autres pensaient de lui, car lui, Brodeck, il n’y est pour rien, il tient à le dire. Il faut que tout le monde sache.

Outre l’affaire de l’Anderer, le rapport est aussi l’occasion pour Brodeck de s’attarder sur d’autres épisodes de sa vie, sur ce jour où l’ennemi vint le faire prisonnier dans sa propre maison pour l’emmener dans les camps, sur ces longs mois d’emprisonnement, de peur, de souffrance et d’humiliation où, pour sa survie, il accepta de devenir « le chien Brodeck ». Et puis bien sûr il parle des hommes, des villageois, ceux qui bien avant l’arrivée de l’Anderer, avaient déjà suscité d’autres drames au sein de la petite communauté alors occupée par l’ennemi.

Bon, c’est pas compliqué, pour conclure sur ce livre je dirais simplement que  je le classe désormais dans le top 5 des plus beaux livres que j’aie jamais lus et être dans le top 5, ce n »est pas rien (sauf quand on est élue Miss France, évidemment, car là, seul le top 3 compte vraiment). Et puis depuis que je l’ai lu, c’est bien simple, je n’arrête pas d’en commander tout un tas d’exemplaires pour l’offrir à tout le monde. Et à chaque fois j’en tends un à son destinataire en disant « Il FAUT vraiment que tu lises ça« , et j’ai quasiment les yeux embués au moment où je prononce cette phrase, c’est vous dire si ce livre-là, c’est pas du pipi de chat.

Il faut quand même savoir que cette lecture m’a value de m’effondrer littéralement en pleurs, avachie sur une chaise de la cuisine à l’heure du goûter, hurlant mes sanglots et ravalant ma morve au milieu de mes enfants ahuris. C’était à la page 298, les enfants s’étaient arrêté de manger leur tartine de Nutella à l’huile de palme pour me considérer avec inquiétude. Alors j’ai ravalé mes sanglots, sauf que ça m’a repris à la page 316 et là, les gosses ont carrément quitté la pièce tellement ça les a fait flipper de voir leur mère le dos courbé et le front collé à la table en formica en train de pousser d’étranges borborygmes noyés de mucus.

C’est pas compliqué, Brodeck a beau être un personnage de fiction, on passe tout le livre à avoir envie de le prendre dans les bras, de le serrer fort contre soi en le berçant un peu et de lui dire, comme à un enfant, : « Allez, viens là, ça va aller maintenant… ». Sauf qu’il n’existerait aucun bisou magique suffisant pour soigner tous les bobos de Brodeck.

evebrodeck

 

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7 thoughts on “My favourite book of all time #5

  1. Russel Banks … j’aime vraiment euh vraiment ! ( De beaux lendemains , si court mais si bien ! ! ! Affliction ( plus long ,mais très bon ! )…lis vite ….

  2. Alors là c’est terrible je n’ai pas aimé « le rapport de Brodeck », il m’est limite tombé des mains. Il y a des bouquins comme ça où je finis par me demander s’il me manque une connexion neuronale spécifique puisque tous les gens que j’aime les aiment et moi non : dernier en date « les revenants » de Kasichke, mais il y en a d’autres. Ton billet me donne envie d’y revenir du coup, parfois le second essai paye. Et sinon pour Russel Banks, mon préféré c’est « American darling », il m’arrive encore de regarder la bave aux lèvres des gens qui le démarrent dans le métro tellement je les envie de le commencer. Je n’aime pas le crochet mais je veux bien t’acheter un poncho parce que j’aime bien les ponchos.

    • Ca m’arrive aussi et à chaque fois je me sens différente et sale. Et à chaque fois je me demande aussi si c’est dû à un défaut d’intelligence, de sensibilité ou autre mais non, c’est comme ça et c’est tout. Justement, dans la prochaine chronique je parlerai de certains de ces livres que je suis incapable de lire alors que tout le monde les plébiscite. Pour certains de ces livres, j’arrive carrément à me dire que ça relève du génie alors que je suis incapable d’avancer dans la lecture, oui je sais, c’est n’importe quoi. Du coup j’ai désormais convenu d’un deal entre le livre et moi : je lui laisse sa chance sur 100 pages. Si à la 101ème page je m’emmerde toujours ou si je trouve toujours la lecture laborieuse, j’abandonne.

  3. Abatoir 5, le film, si tu as l’occasion, est pas mal du tout.
    Quand je pense qu’il y a des gens qui achètent les livres ! On est parfois bien content d’habiter une grande ville et d’avoir la médiathèque. Ceci dit, je suis trois guides de lecture (chez folio sf : sf – Passeport pour les étoiles -, fantasy – Cartographie du merveilleux -, fantastique – Atlas des brumes et des ombres) et parfois je suis bien obligé d’acheter ce qui n’y est pas (comme ça je leur file après) mais comme c’est du classique, je trouve à très petit prix sur PM. Dans le genre cher, il y a les romans graphiques ! Je viens d’en lire un qui devrait plus que te plaire : Habibi, de Craig Thompson.
    Je viens de me rendre compte que le guide de fantasy, comme il est par ordre alphabétique d’auteur, me propose Mr Vertigo comme prochaine lecture ; comme m’a dit une bonne sœur cette aprème : Dieu fait bien les choses.

    • Je n’aime pas les livres de bibliothèques, je ne peux pas m’empêcher de penser qu’ils sont pleins des miasmes de tout un tas de lecteurs qui tournent les pages après s’être humectés le doigt de salive. Oui je sais, j’ai des obsessions étranges. Du coup, je n’emprunte jamais, j’achète très peu d’occasion (seulement si le neuf est très très cher ou n’est plus édité) et forcément, je me ruine en livres, tout mon fric y passe, comme une grosse bourgeoise que je ne suis pas. Il faudra un jour que j’en parle à mon psy.

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