You remind me of the babe

L’autre jour, je me suis levée de bonne heure, pour pas changer. C’était la presque fin de mon stage chez le vétérinaire et j’étais attendue pour une amputation de queue, bonne ambiance vous dis-je. J’avais mis mes bottes fourrées et j’étais prête à gratter le givre sur le pare-brise de ma vieille voiture quand j’ai remarqué que quelqu’un avait dessiné une bite dans la buée de la vitre côté passager. J’ai baissé puis remonté la vitre plusieurs fois pour effacer le blasphème mais je ne suis venue à bout que de la couille droite et j’y ai vu le signe que cela allait vraiment être une drôle de journée.

En même temps, c’était ma première journée dans un monde sans David Bowie, je ne vois pas vraiment comment elle aurait pu être autrement qu’étrange et désagréable à la fois.

Quelques minutes plus tôt, mon vieux mari en était à son sixième café et avait entamé sa deuxième heure d’errance matinale 2.0, scrutant alternativement le cours de la bourse, les nouvelles découvertes de la NASA, ses comptes bancaires et l’actu people. Il a dit que Bowie était mort et qu’il ne pouvait pas le croire. Lui qui, depuis des années, n’arrête pas de dire qu’il ne nous reste plus qu’Iggy et Bowie et qu’après ces deux-là, le rock’n’roll sera peut-être bien un peu mort. Ou du moins, plus jamais comme avant. C’est marrant comme on peut se retrouver là, assis à la table en formica de la cuisine, à balayer les miettes de biscottes du revers de la main d’un air résigné, en pleurant intérieurement la disparition d’une rock star à qui l’on doit une partie de la bande son de notre existence et qui du coup, nous donne l’impression d’avoir fait un peu partie de nos vies.

Le vieux mari a écouté Space Oddity en boucle en buvant encore plus de café, je me demande parfois comment ce type fait pour être aussi nonchalant avec toute la caféine qu’il ingurgite chaque jour. Il n’arrêtait pas de répéter « Ground Control to Major Tom » comme une sorte de mantra, ça lui donnait un air à la fois autistique et mélancolique, celui des gens qui perdent un peu de leur jeunesse d’un coup d’un seul.

groundcontroltomajortom

La première  fois que j’ai entendu parler de David Bowie, c’était en 1986. Le Noël de cette année-là, mon père avait offert à ma mère une bague en or surmontée d’une petite émeraude ainsi que deux albums vinyle, l’un de William Sheller et l’autre de Bowie. C’était Never Let Me Down et j’avais trouvé ça un peu chouette et étrange à la fois de voir ma mère posséder un disque à la pochette aussi cool au milieu de ses classiques de Brassens et d’Yves Duteil. Avec l’album de Culture Club, c’était définitivement les deux visuels les plus classes de toute sa collection de disques, ça me faisait même me poser des questions sur ma mère à laquelle je prêtais une vie secrète ou refoulée, du genre « Mais en fait elle écoute La Tarentelle et Fabienne Thibeault  pour se donner bon genre alors que, si ça se trouve,  c’est une adepte de pop rock refoulée ! « . Et j’aimais bien l’arrivée de ces disques aux pochettes tellement funky dans le living du salon, tout comme j’aimais l’idée que ma mère puisse avoir une vie secrète et danser sur Boy George dans les night club au lieu de simplement tricoter des pulls en mohair et s’abonner à des fiches cuisine.

La même année, quelques mois auparavant, j’avais découvert Bowie pour la toute première fois sur une VHS de Vidéo Mag, sans savoir que c’était lui. Vidéo  Mag, le programme d’Yves Mourousi auquel les grand-mères s’abonnaient pour en recevoir un volet chaque mois, le tout sur une VHS sous-titrée « des images inoubliables sur cassette réutilisable ». Ce que c’était bon les années 80 tout de même. Mon cousin et moi, on se faisait une joie de profiter de ces cassettes « réutilisables » qu’on rembobinait et revisionnait à l’infini, et pas seulement pour Mourousi ni pour les épisodes de Denis la Malice. Affalés dans les gros fauteuils en cuir craquelé du salon familial, on matait inlassablement Vidéo Mag en mangeant des tartines de Saint Hubert 41, jusqu’au jour où nous sommes tombés sur le trailer de Labyrinth. LE. TRAILER. DE. LABYRINTH ! »L’imaginaire de Jim Henson, la magie de George Lucas« , disait la voix-off. Avec un labyrinthe merveilleux, des créatures étranges, un bal masqué, une horloge de treize heures, et David Bowie en collants et cape noire dans le rôle du méchant. Et j’ai su alors que j’allais passer toute le reste de mon enfance à souhaiter me faire enfermer dans un labyrinthe avec Jareth. Je voulais être Sarah et danser avec lui dans une robe de bal jusqu’à la fin des temps. Je voulais venir à  bout du labyrinthe en moins de treize heures mais finalement décider d’y rester avec le roi des kobolds. Pour toujours.

labyrinth-jareth

On a regardé le trailer environ 743 fois je pense. On ne parlait plus que de ça. On s’imaginait l’histoire d’après les quelques scènes que la bande-annonce nous avait révélés.  On essayait d’en déduire un scénario. Déjà on s’était réparti les rôles de Sarah et Jareth pour s’inventer des histoires dignes de Labyrinth dans le jardin des grands-parents. On avait piqué une vieille horloge 70’s : »Viens, on disait que c’était l’horloge qui faisait treize heures et qu’on n’avait que treize heures pour venir à bout du labyrinthe ». J’ai bassiné toute la grande section de maternelle avec cette histoire de labyrinthe  et dans la cour, je harcelais les autres gosses pour qu’ils laissent tomber leurs jeux de Bioman (où les garçons se battaient pour être force rouge et les filles force jaune) au profit de Labyrinth. Mais comme tout le monde s’en fichait, je jouais toute seule à être Sarah, perdue dans les méandres d’un labyrinthe fantastique, en chantant Underground de Bowie en yaourt. Et j’attendais avec impatience le samedi après-midi pour reprendre le cours de l’aventure avec mon cousin maquillé en Jareth grâce à la palette Clarins de notre grand-mère, devant Vidéo Mag bien sûr.

jareth-masque

Ma mère et notre oncle ont fini par nous emmener voir le film à sa sortie. C’était de loin le plus beau jour de ma vie. Je n’avais jamais autant attendu un événement, jamais. C’était comme si un rêve se réalisait, je vous jure que je n’exagère pas. Après ça, j’allais pouvoir chanter Magic Dance en yaourt jusqu’à la fin des temps et ne plus jamais aimer personne d’autre que Bowie. Et quand je serais grande, j’aurais la même chambre que Sarah, avec la même coiffeuse et la même collection de peluches dans une jolie étagère à niches, et j’aurai aussi les cheveux longs et j’irai au bal masqué de Jareth. Sauf que moi, contrairement à elle, je l’embrasserai sur la bouche. Et je m’en ficherai pas mal de récupérer ou non mon fichu petit frère enfermé dans le château de Kobold-ville, du moment que je puisse passer le reste de ma vie à regarder les yeux vairons de Jareth (oui c’est bon, ça va, on le sait qu’ils n’étaient pas vairons)..

jareth

Quelques années plus tard, quand j’avais neuf ou dix ans et que je connaissais définitivement tous les dialogues de Labyrinth par coeur, je suis tombée  à la télé sur un live de Bowie chantant Changes et je me suis dit que si je devais un jour choisir la bande-son de mon existence, je voudrais que ce soit cette chanson-là. Et ça m’a rappelé que David et moi, ce serait jusqu’à la fin des temps. Et que même si les années 90 et leur lot de petits lovers sexy du grand écran  allaient affoler mes hormones à leur façon, au fond de moi, ce serait toujours David.

Bref, David est mort et Jareth avec lui. Et la couille gauche dessinée sur la vitre de ma voiture refuse de s’effacer. La vie est si étrange parfois.

forever and ever

3 thoughts on “You remind me of the babe

  1. Rock’n’roll ? Çà existe encore, ce truc là ? Comme disait l’autre, musique d’un été qui a eu plus de trente ans pour s’épanouir. En gros, pour moi la fin c’est Nirvana aka l’arrivée des lourds du cul, quand le « n’roll » de l’affaire passe aux oubliettes de je ne sais quel labyrinthe.
    Bowie, je l’aborde avec Hunky Dory, le quitte après Pin Ups, puis l’ai toujours énormément respecté mais de loin. Son premier album, découvert plus tard, me semble un beau fleuron de ce qu’on appelle le « rock fun » anglais.

Commentaires fermés